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Pourquoi sans céréales?

Dernière mise à jour : 5 janv. 2020


Il y a un effet de mode indéniable dans le monde du cheval, entre le « pieds nus », le « sans mors », le « sans céréales », « l’éthologie » , et le « paddock paradise », on ne s’y retrouve plus ! Le problème de l’effet de mode, c’est surtout que beaucoup de gens finissent par se dire que « ça passera », sans forcément se pencher sur la raison pour laquelle cette mode existe, et pourquoi certains d’entre nous la défendent.

Vous l’avez bien compris, dans cet article, je vais me pencher sur la nourriture « sans céréales ». Quand j’ai fais mon module de nutrition pour mes études l’année dernière, on ne m’a jamais dit noir sur blanc qu’il ne fallait pas donner de céréales – au contraire, on en a même beaucoup parlé. Je suis ensuite arrivée à cette conclusion par moi-même en étudiant le système digestif du cheval, et en comprenant comment le nourrir pour garantir sa bonne santé.


Composition des céréales

Les quatre céréales les plus utilisées dans l’alimentation du cheval sont l’avoine, l’orge, le blé et le maïs. Les taux de protéines tournent autour du 11-12% pour chacun (ce qui est trop élevé – mais on parlera de ça dans un autre article), et les taux de lipides tournent autour du 1-2% (à part pour le maïs), ce qui est trop pauvre (on en parlera aussi un autre jour).

Passons donc à ce qui nous intéresse le plus : les sucres (et l'amidon) et la fibre

  • L’avoine est composée de 40% d’amidon et de 13% de fibre digestible (27% de fibre au total)*

  • L’orge est composée de 50% d’amidon et de 7% de fibre digestible (18% de fibre au total)*

  • Le maïs (floconné) est composé à 64% d’amidon et de 3% de fibre digestible (8% de fibre au total)*

*source: National Research Council (2007), Nutrient Requirements of Horses, 6e édition révisée, Washington: The National Academies Press


Les céréales sont donc un concentré d’amidon, surtout le blé et le maïs, et ne contiennent pas grand chose d’autre. Effectivement, dans le cas de l'avoine, si vous en donnez 500g par jour, vous donnez en tout 200g d'amidon, donc je vous laisse imaginer quand on en donne plusieurs LITRES (sachant que les céréales sont lourdes, rien qu'en en donnant 1L, 3 fois par jour, on dépasse déjà largement le kilo par jour...). Pour le maïs, c'est encore pire, 500g de maïs c'est 320g d'amidon!

Le taux de protéine est aussi relativement élevé. L’un dans l’autre c’est un aliment à donner en toute petite quantité car extrêmement riche. Dut aux faibles taux de fibre, c’est un aliment qui sera majoritairement digéré au niveau de l’intestin grêle, et très minoritairement au niveau des gros intestins.

Comparons à des aliments "fibreux":

  • le foin contient environs 2% d'amidon et environs 29% de fibre digestible soit environs 47% de fibre au total (variable dépendant de(s) (l')espèce(s) d'herbe présente(s))*

  • la pulpe de betterave contient 1% d'amidon et 26% de fibre digestible soit 42% de fibre au total*

  • les granulés de luzerne contiennent environs 2% d'amidon et 31% de fibre digestible soit 39% de fibre au total*

*source: National Research Council (2007), Nutrient Requirements of Horses, 6e édition révisée, Washington: The National Academies Press


Pauvre en amidon, relativement pauvre en protéines, et très riche en fibre: les fourrages seront digérés majoritairement au niveau des gros intestins.

Voyons maintenant le comportement alimentaire et le système digestif du cheval pour comprendre en quoi les céréales ne sont pas adaptées.


Les bases comportementales

Nombreux d’entre vous ont surement entendus parlé de l’éthogramme du cheval, ou de comment il occupe ses journées dans son environnement « naturel » (ou du moins le plus naturel possible). Du côté alimentaire, il est reconnu que le cheval passe entre 15 et 18 heures par jour à manger, sans passer jamais plus de 1 à 2 heures d’affilée sans manger (même quand ils dorment c’est par périodes courtes dans les 30min à 1 heure). Ce comportement est primordial pour le cheval – c’est un besoin qui, s’il n’est pas respecté, peut mener à des problèmes comportementaux (agressivité, stéréotypies, etc.).

De plus, faisant mon mémoire sur le comportement équin à l’herbage, j’ai lu que la durée que le cheval passe à manger n’est pas simplement dictée par la qualité de ce qu’il mange. Effectivement, même si au niveau qualité il a rencontré ses besoins alimentaires en 8 heures, il passera quand même les autres 7 à 10 heures à manger dans la journée. De même que si au bout de 18 heures à manger il n’a toujours pas rencontré ses besoins, il ne mangera pas plus longtemps pour autant. Bien sûr ça dépend de l’individu et on n’est pas à la minute près, mais il faut retenir que le cheval ne base pas son appétit sur la qualité ou la quantité, mais bien sur la durée.

Les points à comprendre et à retenir :

  • Le cheval doit avoir accès à de la nourriture au moins 18 heures de la journée (autant en donner 24h/24 en libre accès, ce qu’il leur permettra d’avoir le choix et de s’autoréguler).

  • Cette nourriture ne peut être trop riche, ce qui pourrait mener à de l’obésité ou autres problèmes liés à une alimentation trop riche.

  • Les céréales sont extrêmement riches et ne peuvent être données en libre accès ; elles devront être donner par repas qui, à moins qu’ils soient de toute petite quantité, seront très riches.

  • Le système digestif sera donc stimulé par « pics » plutôt qu’en continue, ce qui affectera aussi la glycémie, ayant aussi de son côté son effet sur le comportement du cheval.​


L'anatomie de l'appareil digestif

Les besoins comportementaux décrits plus haut ont une origine physiologique – il y a une raison pour laquelle le cheval réalise ces comportements. Je ne vais pas m’attarder sur tout l’appareil digestif, mais je vais au fur et à mesure expliquer les contraintes qu’il nous apporte pour comprendre comment nourrir son cheval, et surtout, avec quoi.

1. L'estomac

L’estomac du cheval est très particulier à cause de sa taille ; effectivement il est tout petit comparé à la taille de l’animal, et correspond à un ballon de rugby quand il est vide ! Sa capacité d’extension est limitée – il peut aller à une contenance de 8 à 15L dépendant de la taille du cheval. Sa petite taille entraîne donc un certain nombre de contraintes : il ne faut pas trop le remplir, il se vide vite (environs 30min !), et il n’est pas très efficace.

Une autre contrainte imposée par l’estomac est sa division en deux régions : la région squameuse (au début) et la région glandulaire (en dessous). La région squameuse est un espace de stockage où il ne se passe pas grand chose, qui est notamment caractérisée par l’absence d’enzymes et de mucus. La région glandulaire, quant à elle, contient des enzymes et un mucus, et commence la digestion des protéines et des sucres et amidons (S&A).

La région glandulaire est une zone acide, puisque les enzymes qui y sont produites fonctionnent dans un environnement acide pour pouvoir atteindre les acides aminés des protéines et les sucres simples des S&A. L’amylase, enzyme digestive des S&A, est diffusée en quantité limitée et en continue dans l’estomac. Les protéases, enzymes digestives des protéines, sont sécrétées « à la demande » sous l’effet du niveau d’acidité qui s’élève sous la présence de nourriture.

Le mucus sert à protéger la paroi de l’estomac de ces acides – hors la région squameuse n’en produit pas. C’est pourquoi si l’estomac reste vide, les acides de la région glandulaire peuvent remonter dans la région squameuse, ce qui donnera « au mieux » des douleurs gastriques, et au pire des ulcères. C’est pourquoi, naturellement, un cheval ne restera pas plus d’1 à 2 heures sans manger.

Les points à comprendre et à retenir :

  • L’estomac est de petite taille et ne peut donc pas contenir des gros repas – les repas doivent être divisés dans la journée.

  • Il se vide vite et à besoin d’être constamment rempli pour éviter les reflux d’acide dans la région squameuse.

  • L’estomac sert à entamer la digestion des protéines et S&A mais n’est pas très efficace – plus de protéines et S&A augmentera l’acidité de l’estomac et augmentera le travail requis pour finir la digestion et l’absorption de ces éléments au niveau de l’intestin grêle.

  • Les céréales contiennent majoritairement des protéines et amidons, ce qui stimulera énormément d’acidité dans l’estomac.

  • Les fibres en parallèle sont beaucoup plus dur à mastiquer et permettent au cheval de produire plus de salive, qui a naturellement un effet tampon sur l’acidité de l’estomac – hors, les céréales contiennent peu de fibre ; la mastication est plus rapide et la salivation beaucoup moins importante.​

  • Le tout contribue à faire de l'estomac un espace particulièrement acide, encore plus acide que le cheval ne peut tolérer.

2. L'intestin grêle

L’intestin grêle du cheval n’est pas extrêmement développé non plus, et poursuit le rôle de l’estomac : finir de digérer et absorber les protéines et S&A. Mais il est aussi responsable pour la digestion et l’absorption des lipides, vitamines et minéraux. Vous l’aurez compris – l’intestin grêle est très occupé !

Je ne m’épancherais pas sur les lipides, vitamines et minéraux – ça n’est pas le but de cet article et n’a rien à voir avec les céréales. La seule chose à retenir c’est que le cheval ne possédant pas de vésicule biliaire produit de la bile en continue ce qui montre l’efficacité du cheval à digérer les lipides et encore une fois son besoin de manger en continu.

Les protéases et l’amylase sont une fois de plus sécrétées de la même façon – en continue de façon limitée pour l’amylase et dicté par l’acidité du suc gastrique pour les protéases.

Il est primordial pour ces éléments d’être absorbés avant le passage au gros intestin (rappel que l’intestin grêle est de taille limitée chez les chevaux), car tout ce qui n’est pas absorbé avant continuera son chemin et pourra, à partir d’une certaine quantité, troubler son fonctionnement.

Les points à comprendre et à retenir :

  • L’intestin grêle est d’une capacité limitée comparé à la taille de l’animal, mais est pourtant responsable pour la digestion et l’absorption de la majorité des nutriments – le cheval requiert donc une alimentation pauvre en protéines et S&A pour pouvoir garantir leur absorption.

  • Ce qui n’est pas absorbé au niveau de l’intestin grêle poursuivra sa route vers le gros intestin ce qui pourra lui nuire.

  • Les différentes enzymes digestives sécrétées dans l’intestin grêle sont produites en quantité limitée et en continue, prouvant une fois de plus que le cheval requiert une alimentation pauvre et en libre accès toute la journée.

  • Encore une fois, les céréales contiennent majoritairement des protéines et amidons, que le cheval devra digérer « d’un coup » : les limitations de l’intestin grêle entraîneront alors une poursuite inévitable d’acides aminés et de sucres dans le gros intestin.​

3. Le gros intestin

L’anatomie du gros intestin équin est très particulière, puisqu’il est fait pour abriter une flore responsable pour la fermentation des fibres – ce qui rend le cheval capable de manger des fourrages, contrairement aux humains. Cette flore est faite de microbes très particuliers qui sont capable de transformer les nutriments présents en acides gras volatiles (AGV) en se nourrissant eux-mêmes au passage. Cette flore est donc largement influencée par les nutriments qui lui sont proposés.

Les AGV sont une source d’énergie à métabolisme lent qui est la plus efficace pour les chevaux. Effectivement c’est dans cette énergie à métabolisme lent que le cheval puise pour marcher toute la journée – c’est cette énergie qu’il est fait pour utiliser. Il y a trois types d’AGV majoritaires : le butyrate, le proprionate, et l’acétate (ou l’acide butyrique, l’acide proprionique, et l’acide acétique). Le butyrate et l’acétate proviennent de la digestion de la fibre, ce dernier étant le plus efficace en terme de rendement énergétique. Le proprionate, quant à lui, provient de la fermentation de l’amidon, et est moins efficace en terme de rendement énergétique.

Il est important de noter que les microbes responsables de la fermentation de la fibre vivent dans des milieux à pH neutre, voire alcalins, et seront donc tué dans le cas d’un pH acide. Une première source d’acidité est d’abord les acides aminés et les sucres tombés dans le gros intestin qui n’ont pas été absorbés avant. La deuxième source d’acidité est la flore fermentant l’amidon qui produit du proprionate : effectivement ces microbes prolifèrent dans un milieu acide et génèrent en retour de l’acidité. Un peu d’acide est bénéfique et a un effet régulateur sur le pH du gros intestin – mais en trop grande quantité le pH tombera sous les niveaux requis pour la fermentation de la fibre.

Le dernier point à ajouter sur la fibre c’est que vous imaginez bien qu’après être passé par l’estomac et l’intestin grêle, le suc gastrique est déjà bien appauvri en eau – qui est absorbée très rapidement – et qu’il y a encore 100L de gros intestin à traverser. La fibre, notamment la lignine (une fibre indigeste), est capable « d’emprisonner » des molécules d’eau qui serviront à hydrater le gros intestin. Ceci est primordial pour la qualité du transit et dans la prévention des coliques. La lignine est une source de rigidité dans les végétaux, elle est donc trouvée en petite quantité dans le foin, et en plus grosse quantité dans la paille et l’écorce (plus c’est rigide, plus c’est riche en lignine !). C’est pourquoi il est bénéfique pour le cheval de manger de la paille ou de l’écorce en petite quantité – attention aux excès par contre ou cette fois la colique viendra d’un bouchon de matière indigeste.

Les points à comprendre et à retenir :

  • Le gros intestin représente la majorité en terme de taille et de capacité de l’appareil digestif équin – et pourtant il n’est responsable pratiquement que de la fermentation de la fibre !

  • Tout élément qui n’a pas été digéré avant dans l’appareil digestif sera une source d’acidité au niveau du gros intestin qui perturbera sa flore et son fonctionnement.

  • La fibre est essentielle pour la qualité du transit, et un manque de fibre pourra mener à des problèmes graves tels que les coliques.

  • Pas besoin de rappel que les céréales sont majoritairement composées de protéines et amidon à ce stade… Il est absolument inévitable qu’une partie de l’amidon tombe dans le gros intestin, donc le moins d’amidon il y a à l’origine, le mieux c’est.​


Conclusion

Nous voilà bien informés sur les différentes contraintes imposées par l’appareil digestif du cheval. Je tiens à préciser en plus de ça que les excès de protéines et d’amidons n’ont pas des effets négatifs que sur l’appareil digestif, mais aussi dans tout le corps du cheval. Un des effets les plus notoires de l'excédent de sucre dans le sang est la fourbure, effectivement un régime riche en sucre amènera a des problèmes plus ou moins sévère d'infection des laminae (qui attachent les structures externes du pied aux structures internes). De la même façon, les fibres n’ont pas d’effets positifs que sur l’appareil digestif (c’est par exemple un vrai four interne pour réchauffer le cheval en hiver dû à la chaleur produite lors de la fermentation !).

Nous avons donc vu en quoi les quantités trop élevées de protéines et S&A sont néfastes, ainsi que les quantités trop pauvres en fibres et lipides. Effectivement, après les AGV, les lipides devraient être la deuxième source d’énergie la plus importante, du fait que le métabolisme pour ces deux éléments est très similaire. Le cheval requiert une source d’énergie à métabolisme lent – les sucres, plus rapides, sont très mal tolérés et utilisés.

En conclusion, il faut apprendre à se servir des céréales correctement et arrêter d'en donner à tout bout de champs. Les céréales apportent en grande partie des sucres et amidons, une énergie très rapidement disponible qui n'est pas nécessaire pour tous les chevaux. Certains chevaux peuvent bénéficier de cet apport énergétique supplémentaire, mais ce sont des catégories très précises (je pense notamment aux juments en lactation, aux poulains en croissance ou aux chevaux professionnels qui sortent dans les concours de haut niveau) et même dans ce cas cet apport est à limiter. Les chevaux de loisir, que la plupart des "propriétaires" possèdent, n'ont pas besoin de cet apport énergétique, et bénéficieront bien plus d'une nourriture riche en fibre et matière grasse (et pauvre en sucre et amidon, donc forcément, sans céréales).


Les céréales devraient être utilisées en complément dans des cas précis, plutôt que comme aliment de base pour tout chevaux.

Quelques compagnies qui proposent des aliments sans céréales

Cette liste est non-exhaustive et propose uniquement certaines compagnies avec des gammes sans céréales ou qui fonctionnent exclusivement sans céréales. Par contre, je ne recommanderais pas toutes les marques qui suivent, étant donnés que certaines utilisent d’autres éléments indésirables (comment choisir son alimentation sera le sujet d’un autre article).

  • Agrobs, pratiquement exclusivement sans céréales.

  • PureFeed, pratiquement exclusivement sans céréales ou autres substances indésirables (exception de Pure Performance qui contient de l’avoine, mais qui rassemble mes deux critères pour l’utilisation des céréales : 1. c’est de l’avoine et 2. c’est pour les athlètes de haut niveau).

  • Simple System, que j’utilisais avant en Irlande, qui est une très bonne marque exclusivement sans céréales ni autres substances indésirables (pas de mélasse ni de conservateurs, gamme bio, etc.)

  • Thunderbrook, exclusivement sans céréales, souvent recommandé par les vétérinaires en cas d’ulcères.

  • Marstall, que j’utilise à l’heure actuelle, qui propose une gamme sans céréales notamment avec son Faser Light ou son Vito, ainsi que des mash.

  • Total Horse Feed

  • Dengie, pratiquement exclusivement sans céréales.

  • Baileys, avec une gamme sans céréales à base de luzerne et de pulpe de betterave.

En cherchant bien beaucoup d’autres compagnies proposent des aliments sans céréales, souvent réservés à des chevaux malades (PSSM, Cushings, fourbure, etc.). Mais pourquoi attendre que son cheval ait un problème pour bannir les céréales, s’il est déjà reconnu que le métabolisme du cheval fonctionne mieux sans ?

Sources: mes cours en nutrition équine, et certains livres incluant "Nutriments Requirements of Horses" par le NRC, et plein d'autres livres professionnels.

Merci pour votre lecture et n'hésitez pas à laisser vos commentaires!


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